Bonjour à tous et bienvenue dans 7 jours en France. Nous sommes au domaine de Courson à une trentaine de kilomètres au sud de Paris, et cette semaine nous allons vous parler de la noblesse française. Alors, nous allons rencontrer la famille qui vit dans ce domaine, les nobles ont perdu leurs privilèges depuis la révolution en 1789 mais vous allez voir, ils exercent toujours une grande fascination sur les français. Combien sont-ils ? Comment vivent-ils ? La réponse en chiffres et en images.
A l’aube de la révolution française en 789, il y avait 17000 familles nobles. Seules 2800 ont survécu. A peine 20 ans plus tard, Napoléon 1er créé la noblesse impériale : il accorde des titres aux membres des hautes sphères militaires, économiques ou culturelles. Au XIXème siècle, en tout, 400 familles sont anoblies. Aujourd’hui en France, on en compte environ 3000 et pour les identifier, il ne faut pas se fier à leur patronyme : seule une famille sur trois avec un nom à particule est d’origine noble. Par exemple, Charles De Gaulle n’était pas noble, alors qu’Antoine de St-Exupéry l’était. En effet, de nombreuses familles ont obtenu leur particule à coups de décrets ou d’ordonnances. Pour ceux qui l’ont perdue à la révolution française, sachez qu’il est possible de la récupérer. Il faut en faire la demande au Garde des Sceaux et obtenir la bénédiction de l’ANF, l’association d’entraide de la noblesse française. Que vous soyez noble ou non, cela ne change rien aux yeux de la république. Comte, Baron, Duchesse : ces titres sont considérés comme des accessoires : ils peuvent figurer sur les documents administratifs mais ne confèrent aucun droit particulier.
Bonjour, bienvenue à Courson.
Bonjour, merci de nous accueillir.
Nous sommes avec Patricia et Olivier de Nervaux. Vous êtes les propriétaires du domaine de Courson, ce château est dans votre famille depuis plus de deux siècles. Alors beaucoup de français se demandent comment vivent les nobles aujourd’hui, dites-nous : est-ce que vous vivez encore dans ce château ?
Bien sûr, nous vivons encore dans ce château, parce que ce château nous occupe énormément. Ici nous sommes dans le cœur de la demeure en fait, je dirais même le joyau de cette demeure, ce grand salon à l’italienne. Nous n’y habitons pas, nous ne prenons pas le thé tous les jours, nous habitons dans des pièces qui se situent en fait dans le prolongement de ces pièces de réception, dans une partie que l’on appelle le petit château et qui est collé à l’aile droite du château principal.
Alors je crois que cette pièce a une signification particulière pour vous, est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ?
Bon, cette pièce c’est le salon vert, qui est aussi le salon d’été, beaucoup utilisé du temps de mes grands-parents, où j’ai beaucoup de souvenirs de temps passé avec eux. C’est aussi une pièce importante car vous avez ici le tableau du Duc de Padoue, le Duc de Padoue était en fait le Général Arrighi, Jean Arrighi de Casanova, corse comme son l’indique, cousin issu de germain de Napoléon Bonaparte, qui a fait toute sa carrière dans les armées de… dans les campagnes militaires de l’Empire, et qui à la fin de sa carrière a été récompensé par le titre de gouverneur des invalides, lorsque Napoléon III, donc le petit-neveu de Napoléon Premier, est devenu empereur.
On se trouve maintenant dans le jardin du domaine de de Courson.
Pour vous, être noble aujourd’hui, qu’est-ce que ça représente ?
Ça représente une certaine tradition de qualité, d’exigence, de valeurs, d’honnêteté, de désintéressement, de service de l’intérêt général que nous essayons d’entretenir ici et j’espère de transmettre à nos enfants, pour la génération future.
Et pour vous Patricia ?
Et bien moi je pense que j’y attache des valeurs d’éducation, de politesse, d’une certaine élégance du cœur aussi, et d’une façon générale de respect, de courtoisie, de bienveillance.
Merci beaucoup, Patricia et Olivier de Nervaux, merci de nous avoir accueillis au Domaine de Courson.
Nous allons maintenant à la découverte d’un autre château, le château de Cheverny. Vous le connaissez, il a inspiré le château de Moulinsart dans la bande dessinée Tintin, et vous allez le voir, pour assurer la pérennité du site, il faut le gérer comme une petite entreprise.
Cheverny, l'un des châteaux de la Loire les plus réputés. Celui qui a inspiré le plus célèbre auteur de bandes dessinées, Hergé. Il en a fait le théâtre des aventures de Tintin. Aujourd'hui, le maître des lieux n'est pas capitaine comme Haddock, mais marquis, et s'appelle Charles-Antoine de Vibraye.
"Il est onze heures..."
Un châtelain impatient : chaque journée pour lui est un marathon.
"Triomphe, c'est ça, oui d'accord. C'est que des Triomphes, non?"
Attentif aux moindres détails, il est partout. Ce matin, il inspecte le ruban de tulipes qui lui a coûté 20 000 euros.
"C'est toujours beaucoup, mais après il faut savoir, j'allais dire, investir, pour que nos visiteurs, ils aient envie de venir, de revenir, et venir plus nombreux, il faut qu'ils aient quelque chose de joli à considérer."
Investir, car il gère son château comme une petite entreprise. Réunion de chantier au sommet de la façade nord. Tous les enduits sont à refaire, un coût de 450 000 euros, qui lui donnent quelques sueurs froides.
"Y a des petits moments de tension, des petits réveils brutaux, on va dire, pendant la nuit, voilà. Non non, j'allais dire, là, c'est le stress du petit patron. Faut pas chercher, j'allais dire, le petit patron d'une entreprise de peinture qu'a pas réussi à recruter, qu'a plus les compétences nécessaires, qui pourra pas finir son chantier, il a les mêmes stress que moi, en me disant : mais comment je vais pouvoir financer des travaux pareils."
Le château vit en fait grâce aux visiteurs : pas d'aides de l'Etat. L'entrée coûte 11 euros, mais multiplié par 350 000 visiteurs chaque année, cela représente la principale source de revenus de Cheverny.
Une PME de 50 employés qui ne fonctionnerait pas sans Constance de Vibraye, la marquise. Elle a toujours un projet en tête.
"On a créé un salon de thé, on a créé, donc, les suites, on a agrandi la boutique..."
Et justement, la boutique et ses milliers d'objets dérivés, c'est son royaume. Chaque année, il rapporte 900 000 euros. Ici, c'est elle qui gère tout. Offrir toujours de nouvelles prestations, ce serait le secret de la réussite. Ce soir, certains visiteurs vont avoir le privilège de dormir dans les dépendances du château, et c'est la marquise qui accueille.
"La chambre des parents.
- Sublime!
- Sur le côté gauche c'est les écuries, le château il est juste là.
- Exactement."
740 euros pour deux nuits. Ces suites, c'est l'idée de la marquise. Charles-Antoine de Vibraye, lui, s'investit dans la réalisation de l'un de ses rêves.
"Ah, les vignes ! Là, un hectare de vignes, droit devant vous."
Il n'y en a encore aucune trace : elles ne seront plantées qu'à l'automne.
"On espère vous réinviter à déguster les premières bouteilles dans 4-5 ans."
Une cuvée Cheverny qui symbolise pour lui l'avenir : son château, il n'a pas beaucoup de doutes, il le transmettra à ses enfants. Maximilien, le plus jeune, est prêt. Il veut marcher dans les pas de ses parents.
"Ils comptent pas leurs heures, et ça, c'est génial, ils ont tout le temps le sourire. Bon, même si quelquefois ils sont stressés, mais après.... moi ça me donne envie."
Cheverny devrait donc rester encore dans la famille de Vibraye. Six siècles que cela dure.
"Nous sommes maintenant dans le square Louis XVI, à Paris. Juste derrière moi se trouve la chapelle expiatoire. Elle a été construite là où ont été inhumés Louis XVI et Marie-Antoinette juste après avoir décapités, en 1793. Eric Mension-Rigau nous a rejoints, merci d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne, vous avez écrit beaucoup d'ouvrages consacrés à l'héritage nobiliaire dans la France contemporaine. Que signifie être noble aujourd'hui? Est-ce que la noblesse forme encore un monde à part ?
- La noblesse est morte civilement depuis 1848, les nobles n'ont plus d'existence juridique en France. Ils forment un groupe fermé, une caste fermée, puisqu'on n'entre plus dans la noblesse que par la naissance, la République n'anoblissant plus. Ils sont très minoritaires : 3 000 familles, 0,2% de la population française, 100 000 personnes sur 60 millions d'habitants. La Révolution leur a enlevé le privilège de l'inégalité, donc leur pouvoir dans la société française ne résulte plus que de leurs compétences.
- Alors, avoir une particule, avoir un château, ça ne veut pas forcément dire qu'on est noble. Comment savoir qui est noble ?
- En France, la particule n'a jamais signifié noblesse. La noblesse est une qualité, alors que la particule est une particule de propriété qui désigne la seigneurerie que pouvait acheter un bourgeois enrichi sous l'Ancien Régime, et l'Association de la Noblesse Française vérifie que les nobles peuvent bien montrer qu'ils ont des documents authentiques attestant d'une filiation suivie depuis un ancêtre qui était reconnu noble sous l'Ancien Régime, ou qui a été anobli au cours du 19e siècle.
- Vous parliez de l'ANF, l'Association des Nobles Français. Comment vient-elle en aide aux nobles qui n'ont pas d'argent, aux nobles qui sont en situation précaire ? Qu'est-ce qu'elle fait exactement pour les aider ?
- La noblesse a toujours eu ses pauvres, en effet. C'est une association de solidarité. Le socle de l'identité nobiliaire, c'est précisément cette référence généalogique qui encourage les liens de solidarité et l'esprit de famille, qui peuvent être à l'oeuvre justement dans les épreuves de la vie, être un réservoir de soutien et un bouclier contre les épreuves de la vie.
- Et alors si aujourd'hui la France redevenait une monarchie, qui pourrait monter sur le trône ?
- Le roi Louis-Philippe, qui est le dernier capétien à avoir régné en France jusqu'en 1848, a une nombreuse descendance. Donc la couronne reviendrait à l'aîné de ses descendants, qui est l'actuel chef de la famille France. Alors, depuis une trentaine d'années, une revendication de la couronne de France est portée par un prince de la maison de Bourbon d'Espagne, descendant directement de Louis XIV, mais la paix d'Utrecht au début du 18e siècle, avait signifié que les Bourbons d'espagne ne pourraient plus revendiquer le trône de France. Donc d'un point de vue historique, la légitimité va à la maison d'Orléans.
- Merci beaucoup, Eric Mension-Rigau. C'est la fin de cette édition de "7 jours en France". Vous l'avez compris, pour être noble il faut répondre à de nombreux critères. Pour être noble de coeur, eh bien, c'est plus facile. Merci d'avoir été avec nous, à très bientôt sur France 24.