Avant de commencer avec les outils théoriques, je voudrais faire un retour sur Gennevilliers parce que... bon j'imagine que tout le monde connaît un petit peu ce qui s'est passé pendant les trois années de l'expérimentation de Gennevilliers mais je vais refaire un point. D'abord, vous expliquer pourquoi cette expérimentation a démarré, pourquoi j'ai décidé de passer, de rentrer dans l'éducation nationale pour infiltrer le système parce qu'il s'agissait vraiment de ça. Ça partait d'une contradiction, d'un constat et d'une contradiction, c'est que... le constat, c'est que j'entendais parler d'un chiffre absolument incroyable qui était 40% d'enfants qui étaient en grande difficulté chaque année à la fin du CM2 donc c'est-à-dire que tous les ans, 300 000 enfants sortent du CM2 avec des lacunes tellement importantes qu'ils n'auront pas une scolarité normale au collège. Ça, ça m'a paru dingue, ça m'a paru dingue de... déjà d'entendre ce chiffre et qu'on ne le sache pas plus et qu'on ne fasse pas quelque chose parce que là 40%, c'est plus seulement une erreur sur quelques détails, on s'est trompé quoi. Et puis, en plus de ce chiffre plus qu'alarmant mais qui est pour moi un symptôme d'un système qui ne fonctionne pas, un autre... autre chose qui m'a alarmé, c'était le... c'est le taux d'accroissement de la violence en milieu scolaire, tous les symptômes qui font que... bah vraiment il y a quelque chose qui tourne pas rond quoi, qui est pas très harmonieux. Et pourtant, l'être humain est pré-câblé pour apprendre simplement en vivant, sans rien faire, l'être humain, dès la naissance et on verra tout à l'heure que, même avant, il est pré-câblé pour apprendre, sans effort. Et il est pré-câblé aussi pour aimer, pour vivre avec l'autre, pour apprendre avec l'autre, donc on n'est pas du tout fait pour ne pas apprendre, on n'est pas du tout fait pour vivre dans la violence, dans la dissension, dans l'isolement, on n'est pas fait pour ça. Vous verrez tout à l'heure, on va aborder ça avec les neurosciences affectives : tout passe au rouge dans notre cerveau dès qu'on est dans des fonctionnements violents, de compétition, etc. Ça fonctionne pas. Donc, comment c'est possible, qu'est-ce qu'il se passe pour qu'on en arrive à des taux comme ça, aussi alarmants, d'échec, de violence alors même que nous sommes pré-câblés pour apprendre et pour aimer, on va le dire comme ça, mais c'est vrai, pour vivre avec l'autre ? Alors, ce que je... ce que j'ai pensé en 2008, c'est... je crois que l'école quand elle a été créée, n'a pas été pensée, n'a pas été fondée, n'a pas été fabriquée, élaborée à partir des mécanismes naturels d'épanouissement et d'apprentissage humains. De toute façon, on ne pouvait pas, donc c'est clair qu'elle ne l'a pas fait, qu'elle n'a pas été construite avec ces mécanismes puisqu'on ne les connaissait pas à l'époque. Donc nous avons construit l'école avec des intuitions, des traditions, des valeurs mais pas avec des connaissances scientifiques donc c'est ce qui pour moi explique ce gâchis humain qu'on observe chaque année quoi. Et là, on parle que des chiffres, quand je dis 40%, on parle que des chiffres des enfants, on parle pas des enseignants qui sont à bout. Non mais c'est vrai. Et je pense que c'est... comme le système n'est pas adapté aux mécanismes humains, ni ceux de l'enfant, ni ceux de l'adulte, tout le monde s'épuise, tout le monde se fatigue pour un résultat qui est pas si bon que ça, c'est-à-dire qu'il faut donner un énorme, énorme, énorme effort constant pour avoir un résultat qui est pas mal mais le rapport entre l'effort donné et le résultat obtenu n'est pas bon. On peut pas continuer comme ça. Mon postulat, c'est que si on respecte ces mécanismes, si on construit des environnements éducatifs autour de l'être humain qui vient de naître et dans les années les plus déterminantes de sa vie alors je pense que nous allons voir émerger de nouvelles aptitudes, un nouveau type, en fait, de personnalité humaine qui serait peut-être la vraie nature de l'être humain, qui est constamment entravé depuis la naissance dans des environnements qui ne supportent pas, qui ne soutiennent pas ces leviers d'épanouissement. Alors ça, ça a vraiment été un moteur très, très, très fort et j'ai rencontré le travail de Maria Montessori qui avait le même postulat que moi alors je suis très honorée et j'ai naturellement repris ses travaux de façon extrêmement rigoureuse et j'y suis encore, hein, j'ai plongé mon... mes yeux dans son premier livre en 2008, je pense que je peux dire que depuis... jusqu'à aujourd'hui, même hier soir, il ne s'est pas passé une seule journée sans que je lise ce qu'écrit Maria Montessori. Je veux vraiment que son travail, on puisse le poursuivre, mais pour le poursuivre, il faut le comprendre, il faut pas se tromper donc j'ai repris ses travaux que j'ai ensuite traduits en langage scientifique actuel.
C'était toute la démarche de Maria Montessori, qui était médecin, qui était pas enseignante, elle était médecin, donc traduire les postulats scientifiques qu'elle avançait, de l'époque, qui n'étaient pas vérifiables à l'époque, les traduire aujourd'hui en science, en langage scientifique pour qu'on puisse tous se comprendre et avancer sur l'héritage qu'elle nous a légué, qui je pense est essentiel, fondamental, extraordinaire, visionnaire.
Donc, j'ai repris ses travaux, enrichis avec les sciences euh, les neuro-sciences cognitives, affectives et sociales, et la linguistique française euh, j'y tiens, parce que son travail n'avait pas été actualisé sur les langues non phonétiques, l'italien à l'époque étant - enfin, il l'est toujours, mais quand elle a fait son, son ses recherches elle les a faites sur l'italien, qui était une langue transparente euh, donc c'est à dire que pour chaque son correspondait un seul graphème, ce qui n'est pas le cas en français, et euh son travail en linguistique en ... sur son, sa progression de langage avait été grosso modo traduit pour toutes les langues non phonétiques, mais sans prendre en compte les spécificités de chacune. C'est quand même dommage. Ce qui fait que, en français, on ne retrouvait pas les explosions de lecture et d'écriture que Maria Montessori avait observé en italien en, dès 1907.
Une fois tout ça engrangé, euh j'ai décidé de passer le concours de l'Education Nationale pour obtenir une classe expérimentale et euh... essayer d'allumer une lumière. Montrer - d'abord, déjà, quand même, me prouver à moi-même, je voulais voir, avoir la preuve que déjà ce que mon, ce que Maria Montessori avait fait fonctionnait, et que quand réellement on poussait dans le sens des mécanisme naturels il se passait des choses extraordinaires. Je voulais le voir.
Je vais juste vous passer une vidéo, c'est une petite fenêtre ouverte sur la classe, donc à Gennevilliers.
" Do, ré, mi, fa, sol"
" Bré...sil. Brésil ! "
" 97, 98, 99 100 ! "
" 9898, divisé par 3 égal 3299, et il reste un. "
" Un camion. Un bateau. " " Un bateau. " " Un hélicoptère." " Quoi ? " " Un hélicoptère. "
" Leu..I.. li ! "
" Une boule. "
" Côni [cône] "
" L'histoire que nous allons vous lire s'intitule Tous les bisous ! "
" Moi, je suis fort, très fort ! J'ai dit à maman... "
" ... Séraphine et Julie. C'est sa belle-mère qui la surnomma Cendrillon. "
" C'est pas fini, tout ce boucan ? Je voudrais dormir moi ! " " C'est pas moi, papa, c'est lui. " " Comment ça, c'est lui ? Vous êtes plusieurs ? "
" J'en ai assez, bois ce sirop tout de suite ! "
" Alors t'a vu ? Il est terrible, mon papa. "
J'ai oublié quelque chose d'essentiel, euh...je je je .. .tout ça n'a été possible que parce que j'avais le soutien d'Anna qui est juste là devant, qui se cache tout le temps, donc je te ... Merci. Pour tout ce qui s'est passé et pour tout ce qui va venir.
Je vais faire vite sur les résultats mais je vais quand même y passer. Dès la première année, on a eu des résultats extraordinaires. On a testé à l'entrée, à leur arrivée dans la classe les dimensions cognitives fondamentales telles que maintenant vous devez un petit peu les connaître, l'attention, la mémoire de travail - qui est une compétence fondamentale pour la réussite scolaire et sociale, et l'épanouissement global, on verra ça tout à l'heure - et euh... et sur des dimensions comme le vocabulaire, la conscience numérique, la conscience phonémique, phonétique et ces enfants, donc qui avaient été testés au début de l'année étaient très en dessous de la norme sur toutes les dimensions testées, hormis euh quelques uns mais enfin c'était globalement euh, pas bon quoi. C'était assez triste. Eh bien figurez-vous qu'en six mois, 74% des enfants ont rattrapé leur écart négatif à la norme. Et dans ces 74% là, environ 30% d'enfants - et je parle de ça en six mois, alors imaginez sur trois ans - se, se.. en six mois, 30% de ceux qui avaient récupéré leur retard l'ont non seulement rattrapé, mais ils ont dépassé la norme. C'est à dire qu'il y avait une petite fille, je prends souvent cet exemple là parce qu'il est très marquant, mais ils ont été plusieurs dans ce cas-là, elle avait en mémoire de travail 28 mois de retard par rapport à, à, à son âge, c'est à dire que les enfants de son âge en moyenne avaient 28 mois d'avance sur elle. On sait, c'est ce que dit la recherche scientifique, la littérature, qu'a priori c'est pas un retard qu'on rattrape. Et malheureusement, c'est prédictif de la réussite. Et bien cette petite fille, elle a récupéré en six mois ses 28 mois, et en plus elle a, elle a pris huit mois d'avance.
C'est-à-dire qu'en 6 mois, elle a fait 3 ans de progression en mémoire de travail. C'est impressionnant. Ce qui explique - on verra tout à l'heure les deuxièmes résultats, heu, qui sont arrivés la deuxième année - sur des dimensions plus scolaires, tous les enfants avançaient plus vite que la norme sur toutes les dimensions testées, principalement en conscience phonémique, lecture (c'est ce qu'on avait beaucoup testé), mathématiques (c'était pff, complètement, heu, explosif quoi, on a dû leur faire passer des tests à des enfants, d'enfants plus âgés parce qu'ils plafonnaient aux tests de leur âge) et on a même fait passer des IRM aux enfants parce que Stanislas Dehalle, donc, qui est professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, et qui est spécialiste international des circuits de la lecture dans le cerveau, quand il a visité la classe, il m'a dit : "Mais... C'est pas possible enfin là, c'est... on n'a jamais vu autant d'enfants aussi jeunes lire aussi bien ! Qu'est-ce qui se passe?".
Donc heu, avec l'accord des parents, on a pu faire passer des IRM aux enfants pour voir ce qui s'était passé, ce qui se passait dans leur cerveau.
Et les résultats sont encore en cours d'analyse, mais ce qu'ils nous indiquent déjà, c'est qu'a priori, tout s'est câblé, tous les circuits de la lecture se sont cablés normalement, mais avec un an et demi d'avance. Ca ne veut pas dire - je mets tout de suite la nuance - ça ne veut pas dire qu'il faut absolument apprendre aux enfants à lire avant le CP, absolument pas, ça veut dire que s'ils le veulent, ils le peuvent ! Vous avez ma réponse : et bien oui ! quand on marche dans le sens des lois de la vie, ça va mieux ! Etonnant, hein ? Et quand on arrête de lutter contre, ben on se fatigue beaucoup moins, et tout va mieux ! Mais vous le savez, l'expérimentation a été arrêtée. Quand j'ai eu l'autorisation de démarrer l'expérimentation en 2011, c'était avec un gouvernment qui a changé l'année suivante, en 2012. Et ne 2012, je n'avais plus de soutien ministériel malgré mes relances continuelles, toute l'énergie que je déployais, je n' avais aucun soutien ce qui fait que les tests ont été interdits. J'ai dû désobéir. J'ai dû faire passer des test en cachette, avec l'accord des parents et d'un psychologue qui a bien voulu prendre un risque et ça s'est su, évidemment. Donc, en fait, dès la deuxième année, pour que la classe aille jusqu'au bout, pour que l'expérimentation aille jusqu'au bout, pour voir ce qui pouvait se passer jusqu'au bout, j'ai dû désobeïr quasiment tous les jours. Mais il fallait vraiment, vraiment qu'on tienne jusqu'au bout parce que vu ce qui s'était passé la première année, c'était une responsabilité, on n'avait pas le droit de lâcher. Et - il fallait bien s'y attendre - la troisième année, ils ont réussi à me mettre un coup de pied aux fesses, et puis je me suis laissée faire cette fois-ci parce que j'avais mes trois années. J'avais ma matière et j'avais même - parce que sachant que le vent été en train de tourner et que j'allais me faire dégager, j'ai pris une caméra qu'on m'a prêtée et j'ai commencé à filmer la dernière année tous les jours les enfants parce que je ne voulais pas que de ces trois années ne reste qu'un discours. Je voulais que tout le monde puisse voir ce que nous, nous avions vu dans la classe, pour que vous puissiez voir que c'est possible. Que ce n'est peut-être pas ça qu'il faut faire, mais, qu'en tout cas, autre chose est possible, et que c'est très prometteur. On partage avec vous d'abord les grands rails théoriques, fondamentaux pour l'épanouissement et l'apprentissage humain - ça, ça nous semble fondamental que les enseignants puissent connaître ces mécanismes-là pour faire ensuite les bons choix, et que là, le terme de "liberté pédagogique" ait tout son sens, c'est-à-dire qu'on fait des choix, avec conscience et connaissance. C'est ça qu'on veut faire aujourdhui, vous donner les outils théoriques les plus importants pour que vous puissiez reprendre votre propre pouvoir pédagogique et d'impact positif sur les enfants, en prenant les décisions qui vous semblent les plus justes.
Et, en parallèle, ce qu'on a déjà commencé à faire, c'est vous donner toute la matière didactique que Maria Montessori a passé sa vie à mettre en oeuvre parce que nous pensons que ce travail est un héritage, qu'il nous appartient à tous, et qu'il doit être mis maintenant sur la place publique. Il n'appartient à personne, il faut que les gens puissent y accéder, se faire leur propre idée, se l'approprier mais il faut que ça appartienne à tout le monde. Donc voilà ce que nous faisons aujourd'hui. Et je termine juste là dessus : ça, ce n'est que l'étape intermédiaire. On ne va pas s'arrêter là. Quand on aura tout donné en ligne, ensuite, on va continuer la recherche pédagogique. Et l'objectif de ça, c'est toujours la même chose. C'est de penser, de construire l'environnement le plus physiologique possible pour l'être humain, dans les années les plus déterminantes de sa vie pour la formation de son intelligence, pour qu'il puisse déployer ses pleins potentiels. Et il ne s'agit pas du tout - et je termine là dessus, c'est vraiment important - j'espère que tout le monde entend bien ça, on le redira : il ne s'agit pas du tout de vouloir enseigner une méthode. Nous voulons transcender l'idée de méthode. Ce que nous voulons, c'est dégager des invariants pédagogiques qui vont tracer les contours d'un cadre dans lequel chacun trouvera les rails pédagogiques, les applications pratiques les plus cohérentes en fonction de ses moyens, ses possibilités et de ses contraintes.
