A travers ses photos, Camille Lepage racontait la guerre, mais surtout le quotidien de ceux qui la vivent.
La Centrafrique, la journaliste française connaissait bien, elle y était depuis septembre dernier déjà. Ceux qui l'ont connue sur le terrain sont unanimes : Camille Lepage, 26 ans, n'était pas une tête brûlée.
- " Elle savait où elle était, elle avait conscience des gens qui l'entouraient et des gens avec lesquels elle parlait ou avec lesquels elle pouvait euh.. qu'elle pouvait suivre pour ses reportages. J'pense qu'elle était euh .. non, elle était, elle était .. c'était vraiment pas une imprudente. "
- " Elle avait parfaitement conscience du terrain à risque dans lequel elle se rendait, ça c'est certain, euh ... bon, elle prenait les précautions d'usage et que font les, les bons professionnels sur place. Néanmoins toutes les précautions ne permettent pas d'éviter, euh, l'inévitable et le drame. "
Les circonstances de son décès sont encore floues. Voici en tout cas le message qu'elle a posté il y a une semaine sur les réseaux sociaux. Elle y indique qu'elle voyage avec un groupe d'anti-balaka dans le cadre d'un reportage. Sa dépouille a été retrouvée hier lors d'un contrôle de sécurité par les troupes françaises. Elle se trouvait alors au milieu d'autres corps, dans un véhicule appartenant à des anti-balaka. Mais son décès remonterait à deux jours déjà.
L'hypothèse la plus probable semble celle d'une embuscade dans la région de Bouar, à l'est du pays. Les anti-balaka chrétiens avec lesquels se trouvait Camille Lepage auraient échangé des tirs avec les ex-seleka musulmans. Mais les versions diffèrent. Selon un diplomate français, il pourrait également s'agir d'une attaque d'un autre groupe armé musulman, les Peuls. Une autre source militaire française estime quant à elle que Camille Lepage a été victime d'un affrontement entre anti-balaka. La France compte bien faire la lumière sur cette affaire ; une enquête a été ouverte.
- " Ce qu'il faut retenir de Camille, c'est avant tout que c'était quand même une jeune photo-journaliste, qu'était passionnée par son métier, qui débutait seulement, parce qu'elle a démarré en juillet 2012, et que ce qu'elle voulait surtout, c'était de .. de faire connaître au monde qu'il y avait des pays en grande difficulté, des pays en con.. en conflit, et pour lequel [sic] les médias ne témoignaient pas suffisamment. Elle était partie pour une semaine, au bout d'une semaine, elle m'a envoyé le 6 mai un, un texto me précisant " Maman, t'inquiète pas, je prolonge de quelques jours euh donc j'ai pas de réseau ", ce qu'elle faisait régulièrement quand elle savait que je pouvais pas la joindre, et euh .. malheureusement, depuis j'ai pas eu de nouvelles. Je lui ai envoyé des messages pour rien, puisque que j'ai appris qu'elle était décédée a priori déjà depuis quelques jours. "
Camille Lepage avait commencé sa carrière il y a deux ans à peine, à Djouba, au Sud-Soudan. Témoigner, coûte que coûte. Ses terrains de prédilection : les régions difficiles souvent éloignées des projecteurs médiatiques.
Une journaliste indépendante, fauchée en pleine ascension. Le Monde, le New York Times ou encore le Washington Post : ses photos avaient déjà été publiées dans plusieurs journaux prestigieux.
Sa mort vient rappeler que la situation en République Centrafricaine est encore loin d'être stabilisée, et que journaliste reste plus que jamais un métier à risque.
- " Aujourd'hui, on est dans un.. une forme de conflit larvé, où effectivement, tout peut s'a.. survenir à n'importe quel moment, euh personne n'a le contrôle euh du territoire, et donc il y a des milices, des bandes armées qui, qui se promènent dans la brousse. "
Mais si la situation reste difficile en Centrafrique pour les médias occidentaux, c'est encore pire pour leurs collègues centrafricains. Ces dernières semaines, deux journalistes locaux ont été assassinés à Bangui.
Le pays est toujours plongé dans le chaos et les violences communautaires, et les combattants ne reculent devant rien. Il y a quelques semaines, les ex-seleka ont pris d'assaut un hôpital géré par Médecins Sans Frontières dans le nord-ouest du pays, causant la mort de seize personnes, dont trois membres de l'ONG.
Le dix mai dernier, ce sont au moins treize personnes qui ont été brûlées vives dans leurs maisons au nord de Bangui.
- " Il n'y a pas du tout de force réellement armée centrafricaine, donc vous êtes dans une situation euh totalement ubuesque, et vous avez simplement quelques groupes, euh ce qu'on appelle les anti-balaka, des miliciens, et de l'autre côté, euh, des Musulmans des forces anti-seleka, mais ça, ils sont minoritaires, la grande majorité de la population essaye de survivre dans un pays totalement en déshérance. "
La dépouille de Camille Lepage devrait être rapatriée très prochainement en France. Selon Reporters Sans Frontières, depuis le début de l'année dix-huit journalistes sont morts dans l'exercice de leurs fonctions. Camille Lepage était la seule Française.